Interview

 

 

Interview par la journaliste Chéhérazade Daouni pour Capcampus.com. Première publication par Capcampus.com en mai 2008

Capcampus.com Paris, 05.27.08, 11:00 GMT

Günther Höser est né en Allemagne. Après des études d’art à la Kunsthochschule d’Hanovre et de sciences sociales à Hambourg et à Nice, il débute sa carrière professionnelle en tant qu’enseignant et chercheur à Nice et Aix en Provence. Mais il quitte le milieu universitaire pour le privé et finit directeur commercial Europe d’un grand groupe français. En 1994 il crée sa propre entreprise d’ingénierie linguistique à Sophia Antipolis. Cependant, Günther Höser ne perd jamais sa passion pour l’art et les sciences, et en 2005 il vend son entreprise prospère, pour se consacrer désormais entièrement à la peinture. Il pratique le « Swap Art », selon sa propre expression, dont il a fait une marque commerciale - vieux réflexes obligent. Pour Capcampus il a accepté de partager sa passion pour cet art nouveau et répondre à nos questions.

Chéhérazade Daouni : Günther, vous êtes un artiste très atypique, de par votre parcours d’abord, mais aussi par vos créations, car vous faites des tableaux à partir du son de la voix humaine. D’où vous est venu l’idée ?

Günther Höser : J’ai toujours pratiqué la peinture, mais plutôt traditionnelle, à l’huile ou l’acrylique sur toile. Après des études d’art presque clandestines, car mes parents y étaient catégoriquement opposés, que j’avais mené en parallèle avec des études en sciences sociales, j’ai débuté une carrière universitaire. J’avais donc de plus en plus de mal à trouver le temps et le recul nécessaire à la peinture. Cela s’est empiré après mon passage dans le privé, et je n’ai repris la peinture qu’après avoir créé ma propre entreprise. Ainsi pendant des années j’étais plutôt un observateur passionné de la créativité autour de moi.

Mais ce recul m’a aussi aidé. En tout cas, cela m’a libéré du carcan intellectuel qui entoure la création artistique et plus particulièrement la peinture. J’ai ainsi pu m’ouvrir aux nouveaux médias. Car s’il y a un domaine qui ignore obstinément la révolution informatique, c’est bien celui des beaux arts. [...]

Il n’est donc pas étonnant que la plupart des gens qui entendent « son, art et informatique » dans la même phrase pensent aux « visualisations » sur iPod ou dans Windows Media Player, ces motifs de couleurs et formes produits au hasard par l’interaction du son avec un programme informatique.Il y a pourtant de nombreux artistes qui créent en utilisant des ordinateurs ou du moins l’ont intégré à certains stades de la création. Je m’intéresse depuis quelques années à l’apport de l’informatique à la peinture artistique.

Mais l’idée d’exploiter le potentiel graphique contenu dans l’image spectrographique du son vient de ma femme. Elle me voyait depuis des mois expérimenter avec différents programmes informatiques et un beau matin au réveil elle me demande pourquoi je n’ai jamais encore utilisé les images spectrographiques, ces appareils qui permettent de visualiser les ondes, appareils bien connus des scientifiques et des techniciens du son. Ainsi elle m’a ouvert la porte du royaume des sons, et j’ai commencé à regarder et voir différemment. Il semble que certains aveugles voient les sons, et parfois j’ai l’impression que j’en suis capable, mais c’est une chose que j’ai découverte assez récemment. Mais au fur et à mesure que j’avance sur cette voie, je découvre un monde extraordinaire.

CD : Qu’est-ce que concrètement le Swap Art ?

GH : SWaP est un acronyme de « Spectrografic Wave Processing ». Nous appelons ces créations SWaP Art parce que tout commence par le traitement spectrographique des ondes. Mais en dehors de mon travail, ce terme n’existe pas, ou pas encore. Si vous ‘googlez’ le terme, vous trouvez bien quelques 4000 entrées, mais en général le mot swap est utilisé comme verbe, avec le sens habituel du mot anglais « to swap », ce qui veut dire « échanger ». Cette expression s’applique d’ailleurs aussi à mes créations, puisque je « swap » la technologie par l’art.

Nous avons déposé SWaP Art comme marque commerciale et comme procédé de création artistique, mais uniquement dans le but d’éviter que quelqu’un autre le fasse et vienne nous embêter par la suite.Aujourd’hui je pense même que le terme SWaP Art est quelque peu trompeur, car il met trop l’accent sur la partie informatique, qui est certes indispensable pour le traitement de l’information contenu dans les sons, mais pas déterminant quant au travail créatif, qui reste entièrement humain.

CD : Quelles sont les principales étapes avant d’obtenir le résultat final ?

GH : Cela peut sembler assez complexe. Je passe sur la phase d’enregistrement, qui est pourtant très importante, car les conditions d’enregistrement, tels le milieu, les personnes ou le type de message, tout influera sur le résultat final. Arrivé à mon studio, je débarrasse l’enregistrement des parasites pour isoler la voix et pour optimiser les paramètres du son qui m’intéressent. J’attire votre attention sur le fait que dès le départ et tout le long de ce processus mes choix très subjectifs interviennent et seront tout aussi déterminants que l’enregistrement de la voix elle-même.

Il s’agit donc d’un produit de création humaine, où l’informatique ne sert que d’outil ou de catalyseur.L’enregistrement sera ensuite sauvegardé sous forme d’un fichier électronique. Ce fichier sera traité en utilisant des programmes spectrographiques et un certain nombre de filtres adaptés. Lors de cette phase de transposition du son en image brute, les possibilités sont aussi vastes que déterminants. Toutes les informations sont présentes, mais lors du traitement spectrographique je vais privilégier certains paramètres seulement. C’est nécessaire, car plus vous globalisez pour inclure un maximum d’informations, plus vous banalisez le tableau.

C’est un peu comme peindre le ciel nocturne, qui est la représentation la plus vaste de notre univers, au lieu de faire le portrait d’une personne assise en face de vous. N’empêche que ce choix est également très subjectif et déterminant pour la suite. Dès le départ, j’ai un projet et mes différents choix lors du traitement se font tous en fonction de ce projet.Quand la sortie spectrographique est optimisée, je traite le fichier graphique brut avec un certain nombre de programmes professionnelles, en utilisant des filtres que j’ai développé ou faire développer selon mes spécifications.

A la fin de cette phase « informatique » l’image est toujours brute, même si certains éléments graphiques attractifs commencent par apparaître. Commence alors le travail traditionnel du peintre. Parfois je continue à travailler le graphisme par ordinateur, parfois je passe directement au pinceau.J’anticipe votre question qui m’a été posée de nombreuses fois : « Quel est alors le rapport entre l’enregistrement initial et le tableau finalisé ? » Je vous réponds : « C’est le rapport entre un sujet et un tableau, le même rapport que vous trouvez chez tous les peintres traditionnels.

Parfois c’est très proche, quasi photographique, comme les SWaP Art Editions Limitées No 36 et 38, et parfois c’est mon interprétation de cette réalité, qui alors n’a plus rien d’une photo, tels par exemple mes créations à partir d’enregistrements dans les rues de Monaco. ». Tous les peintres travaillent ainsi, et cela vous montre que mes tableaux ne sont pas les produits d’un programme informatique.

CD : Alors quelle différence faites-vous entre le Swap Art et le Computer Art ?

GH : Y a-t-il une définition du Computer Art ? Quelqu’un a écrit dans Wikipedia que « c’est l’art où l’ordinateur a joué un rôle dans la production ou l’exposition de l’art. » C’est un peu vaste, car vous trouvez même les peintures des caves de Lascaux exposées sur ordinateur, et l’ordinateur ne peut plus être exclu d’aucune production ou distribution d’aucun produit. Par contre, si l’ordinateur est utilisé par le peintre comme un outil, au même titre que sa brosse, alors le terme Computer Art prend plus de sens. Ma définition est encore plus restrictive : j’appelle Computer Art les travaux où l’ordinateur domine la création ou en est même l’outil exclusif. En ce sens là, je ne pratique pas du Computer Art, car chez moi ce n’est pas un programme informatique, mais moi-même, le peintre, qui choisit librement tout au long du processus de création et qui peint lui-même le tableau.

J’ai dit récemment à une de vos collègues journalistes que je ressens plus d’affinités avec les peintres de la renaissance qu’avec mes confrères contemporains. C’est vrai en ce sens que je partage beaucoup des idéaux des grands créateurs de cette époque bouillonnante. L’ordinateur n’est pour moi qu’un outil qui m’ouvre l’accès à quelque chose qui serait autrement inaccessible. Je ne suis pas un adorateur de la technologie, mais un utilisateur pragmatique.Et je condamne d’autant plus l’aveuglement et l’ignorance des créateurs contemporains face à la technologie. Quelques peintres bien côtés, parmi ceux qui pratiquent la figuration narrative, utilisent des projecteurs vidéo, des compresseurs et pistolets à peinture pour peindre leurs toiles gigantesques, mais ils méprisent l’idée d’utiliser un ordinateur pour créer. Mais bon, il est vrai qu’en 1802 les gens avaient peur de monter dans un train sous prétexte que rouler à 20 km/heure sur de longues distances serait néfaste pour leur santé.

CD : Le timbre de voix change t-il complètement le résultat du tableau ?

GH : Absolument ! Il faut certes un oeil entraîné pour s’en apercevoir aux premiers stades du traitement du son, ou du moins il faut des programmes très poussés pour s’en rendre compte. Par contre, soyons honnête : le traitement électronique du son permet de simuler tous les timbres que vous voulez. En théorie - et un bon ingénieur y arrive même en pratique - on peut reproduire votre voix à la perfection. Si l’ingénieur analyse votre vocabulaire et vos expressions habituelles, et c’est un exercice à la portée de toute personne un peu attentive, il peut vous faire dire ce qu’il veut.Mais je ne veux pas reconstruire une personne sortie de mon imagination sur la toile. Certains le font, mais personnellement je ne suis pas arrivé à ce stade de sublimation qui me permet d’imposer ma vision aux autres.

Je me conçois comme un observateur privilégié placé au premier rang, et je voudrais communiquer ce que je vois : quelque chose qui vous rend si spéciale. Pour cela j’ai ma technique, et mes choix. Ainsi je préfère me concentrer sur la beauté de la voix, la beauté cachée des gens en fait. Notre culture privilège trop souvent la laideur, on a poussé cette recherche-là à l’extrême, et on commence à s’apercevoir que cela ne nous avance à rien. Je fais le pari que la beauté nous amènera plus loin. Mais ce choix est personnel, et je respecte ceux qui le critiquent.

CD : Cherchez-vous à transmettre un message à travers vos oeuvres ? Si oui lesquels ?

GH : S’il y en avait un ce serait celui-là : l’humain et son monde sont magnifiques, aussi beaux qu’effrayants. A partir de ce constat il y a des choix à faire, illustré parfaitement par cette parabole : quand il y a une crotte au milieu du chemin, il y a ceux qui prennent un bâton et piquent dedans, et puis il y a ceux qui font un grand pas par-dessus en regardant ce qui ce passe devant. Je fais partie de ceux-là, je regarde plutôt la beauté qui marche devant moi.

CD : Avez-vous en tête d’autres expériences artistiques ?

GH : Beaucoup, mais je ne suis qu’au début de l’exploration de la voix, bien que j’aie déjà expérimenté un concept similaire, combinant également les sciences et l’art pour faire sortir d’autres aspects de l’humain : le microcosme. Je suis partie d’images réalisées avec des microscopes électroniques. A partir de là le traitement est similaire. Mais c’est encore un tout autre monde qui s’ouvre. D’ailleurs, je n’invente rien : combiner l’étude scientifique, les technologies les plus avancées et l’art, c’est un concept inventé il y a 500 ans par les grands maîtres de la renaissance. Ce n’est qu’au 19e siècle que les beaux arts sont retombés dans l’obscurantisme.

CD : Un dernier mot à nos lecteurs ?

GH : Ce monde est infini et l’humain n’est même pas encore installé dans les starting-blocks de son voyage d’exploration. Après 40 000 ans nous sommes toujours postés à peu près au même endroit, au milieu du chemin, en piquant avec notre bâton dans le truc devant nous. Ouvrons notre esprit à la beauté qui nous entoure, et à tout ce qui nous réunis, pour avancer ensemble ! Je suis conscient que cela sonne terriblement pompeux et idéaliste. Pourtant c’est aussi une forme de sagesse : tout ce qui importe est devant nous.

CD : Merci d’avoir répondu à notre interview avec autant de passion que celle que l’on retrouve dans vos tableaux ! Nous espérons vous revoir avec de nouvelles oeuvres encore plus étonnantes !